ï»żUnRoi sans divertissement de Jean Giono Libre Savoir. Jean Giono est nĂ© en Provence, Ă  Manosque, oĂč il a passĂ© presque toute sa vie. Si son imaginaire prend sa source et s'inscrit dans les paysages arides de cette rĂ©gion, Giono n'est pas pour autant un auteur " provençal ". C'est le romancier de la vie, de la terre, des sensations, du bonheur et de
SociĂ©tĂ© Le confinement est un Ă©vĂ©nement inĂ©dit dont le scrutateur politique peut d’ores et dĂ©jĂ  tirer une matiĂšre fĂ©conde. Il est en effet possible d’identifier, sur le masque de la prĂ©occupation sanitaire, de lĂ©gĂšres fissures au travers desquelles l’Ɠil attentif surprendra peut-ĂȘtre des sursauts inquiĂ©tants. Que nous apprend ce confinement, et oĂč pourrait-il nous mener ? Une premiĂšre chose l’Occident a toujours peur de la mort. Il a cru pouvoir lui passer la camisole des sciences mais l’angoisse est toujours lĂ . Faute d’y trouver un sens spirituel, on a multipliĂ© les outils, les chiffres, les statistiques, les mĂ©dicaments, les opĂ©rations, bref, tout ce qui laissait penser que la faucheuse Ă©tait sous bon contrĂŽle mĂ©dicalisĂ©. Pourtant les Ă©pidĂ©mies s’invitent toujours dans cet univers dĂ©sinfectĂ© et empaquetĂ© de normes, se permettant mĂȘme le luxe d’emprunter toutes ces frontiĂšres non plus ouvertes mais bĂ©antes dont l’effacement Ă©tait synonyme de libertĂ©. Avec le Covid-19, l’angoisse est revenue, gĂȘnante, glissante, insaisissable. Puisque la mort s’invite jusqu’à bousculer chaque soir nos informations tĂ©lĂ©visĂ©es, puisqu’elle doit s’accepter faute d’une maĂźtrise immĂ©diate de l’épidĂ©mie, il faut lui trouver un responsable plus accessible que le nĂ©ant lui-mĂȘme. L’envie de pĂ©nal Philippe Muray 1945 – 2006 Le MaĂźtre moqueur Philippe Muray nous a bien expliquĂ© que l’intrusion du nĂ©gatif dans le monde de la post-histoire, bien que cloisonnĂ© Ă  grand renfort de positivitĂ© et de scientisme, dĂ©clenchait en retour des chasses Ă  l’homme. Il faut bien condamner celui qui ruine les espĂ©rances d’un monde en rose. Voici qu’une filature toute neuve se dessine. Une furieuse envie de pĂ©nal, pour reprendre les mots de l’auteur, se rĂ©pand sur les ondes, les Ă©crans, dans les rues dĂ©sertĂ©es. Qui donc ne respecte pas le confinement ? Quel citoyen irresponsable met en pĂ©ril la vie des autres ? Quel meurtrier anonyme se cache sous ce nausĂ©eux motif de promenade journaliĂšre ? Ouvrez l’Ɠil ! C’est donc l’Ɠil bien ouvert que nous assistons Ă  la multiplication de scĂšnes guignolesques dont le ridicule pourrait presque nous faire oublier leurs contours venimeux. Faut-il en citer quelques-unes ? Ainsi une propriĂ©taire de chevaux est-elle verbalisĂ©e pour leur avoir portĂ© de l’eau, quand un cycliste Ă©cope de la mĂȘme correction pour avoir fait ses courses sans avoir songĂ© Ă  prendre sa voiture. Faut-il dĂ©crire encore cette incroyable saynĂšte des gendarmes rencognĂ©s derriĂšre un bosquet de buis, perdus au sommet d’un vaste plateau calcaire et dĂ©sert et pourtant bien compris dans le rayon autorisĂ© d’un kilomĂštre, le bourg Ă©tant juste au-dessous, attendant de dĂ©busquer les rares promeneurs, qui, une fois hĂ©lĂ©s, s’échapperont Ă  toute allure pour se rĂ©fugier dans la forĂȘt ? C’est Ă  peine envisageable en dehors d’un théùtre de boulevard. Flou rĂ©glementaire total, imbroglios garantis. Voici qu’une filature toute neuve se dessine. Une furieuse envie de pĂ©nal, pour reprendre les mots de Muray, se rĂ©pand sur les ondes, les Ă©crans, dans les rues dĂ©sertĂ©es. » Acrimonie Ă©galitaire Ce qui prĂȘterait moins Ă  sourire, c’est que ce rĂ©gime d’exception est justifiĂ© par des vellĂ©itĂ©s prĂ©tendument Ă©galitaires. Ainsi, un citoyen n’ayant aucune chance de contaminer quiconque sera tout de mĂȘme pointĂ© du doigt s’il dĂ©sobĂ©it. Entendez-vous ? Alors que tant se mobilisent » enfermĂ©s chez eux, dans les villes, un provincial s’autoriserait Ă  faire une petite marche de deux heures autour de chez lui, sur le Causse Noir ? OĂč serait l’esprit de solidaritĂ© ? De tels narcissismes vous dĂ©sespĂšrent. Cela nous rappelle que la loi reste une abstraction. Aussi, cet homme qui nage esseulĂ©, la mer Ă©tant son unique ruelle, voit-il arriver dare-dare pas moins de quatre policiers en bateau, chacun risquant, au passage, sa santĂ©. Oui on ne nage » pas, Monsieur, mĂȘme en pleine mer Ă  six heures du matin. Ici commence l’effritement des libertĂ©s non matĂ©rielles l’accĂšs Ă  l’eau, l’air, la nature. L’idĂ©e que de se promener dans une rue avec une densitĂ© de trois-cents habitants au kilomĂštre carrĂ© demeure moins subversif qu’une petite marche isolĂ©e sur un terrain oĂč ne passent que trois personnes dans la journĂ©e – distances de sĂ©curitĂ© en sus – ne semble choquer aucune autoritĂ©. Reste que l’État peut compter sur le renfort spasmodique de la jalousie et de sa cousine, la dĂ©lation. Le vieillard au visage travaillĂ© par le soleil, assis prĂšs d’un Ă©tang infrĂ©quentĂ©, sommĂ© de rentrer ses canes, sa portion quotidienne de soleil arrachĂ©e, voilĂ  qui interroge. Que fait-on du discernement ? Pourtant, la passion de la traque et de la vigilance pourrait tout autant opĂ©rer une singuliĂšre virevolte au mĂ©pris des contradictions. La fin du confinement risque en effet d’ĂȘtre particuliĂšrement nausĂ©abonde si ceux du front » s’écharpent avec ceux de l’arriĂšre » ; les planquĂ©s. Chacun ira de sa justification qui aura pris des risques au travail, qui aura souffert chez lui de la solitude, vigilant, se dĂ©passant lors d’un tĂ©lĂ©travail plus intense encore que le bureau
 La petite bataille des justifications et des Ă©gos pointe dĂ©jĂ  Ă  l’horizon. De sordides rĂ©flexes qui mĂšneront les deux types de hĂ©ros » du sanitaire dans la gueule du loup, chacun s’efforçant de dĂ©montrer sa participation et son utilitĂ© pour le systĂšme dans une pitoyable et aride soif de reconnaissance. On entend bien faire respecter l’ordre dont la lĂ©gitimitĂ© chancelante peine Ă  se maintenir sur le socle des ratĂ©s accumulĂ©s depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie. » La guerre c’est la paix et la paix c’est la guerre
 les discours changent du jour au lendemain, c’est une grippe ; non, c’est trĂšs dangereux ; il faut rester chez soi pour aller travailler ; ceux qui se confinent ont raison ; mais ceux qui travaillent car ils n’ont pas le choix sont des hĂ©ros ; quand ceux qui travaillent pour simplement travailler sont suspects
 tout s’annule, se remplace, se succĂšde dans une agitation militante, poil bien hĂ©rissĂ©. Ça remue, ça gesticule. On entend bien faire respecter l’ordre dont la lĂ©gitimitĂ© chancelante peine Ă  se maintenir sur le socle des ratĂ©s accumulĂ©s depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie. Si cette pantomime autoritaire nous est annoncĂ©e comme Ă©phĂ©mĂšre, les rebondissements constatĂ©s laissent comprendre qu’aucune libertĂ© acquise n’est imprenable. Quelle est la pente ? Quel est le gouffre ? Nouvelles castes, nouveaux militants Jean Giono 1895 – 1970 Suivant l’enseignement de Pascal repris par un Giono dĂ©sabusĂ©, Un roi sans divertissement est un homme plein de misĂšres. Dans ce rĂ©gime d’exception, difficile pour l’homme blasĂ©, engluĂ© depuis de trop longues annĂ©es dans le tiĂšde train-train quotidien, de rĂ©sister Ă  une occasion si attrayante de revĂȘtir le costume du hĂ©ros Ă  qui revient l’honneur d’adoucir la pente de la courbe et d’amortir le gouffre des chiffres. À ce guerrier convaincu de son importance, revient, pour le salut de tous, la noble mission de traquer sans relĂąche toute forme d’insoumission et de laisser-aller. Pensons d’abord au lanceur d’alerte. HorrifiĂ© par les nouvelles chinoises et transalpines et muni de solides connaissances en statistiques, il redouble d’abnĂ©gation pour ouvrir les yeux Ă  des autoritĂ©s peu emballĂ©es sur la nĂ©cessitĂ© de confiner la population. Parti pour des mois de veille attentive, il s’assure, le regard inquiet, qu’aucune donnĂ©e rĂ©fractaire ne viennent entacher cette catastrophe si rigoureusement modĂ©lisĂ©e par ses soins. Il lui serait bien regrettable de constater une augmentation trop faible du taux de mortalitĂ© sur l’ensemble de la population ; une trop faible incidence sur le pic Ă©pidĂ©mique d’un respect approximatif du confinement par ces français sempiternellement lĂ©gers, incurablement irresponsables ; ou, pire, qu’aucun chiffre significativement alarmant ne ressorte de pays ayant adoptĂ© des mesures plus souples. Il serait absolument inadmissible que des voix pourtant expertes et reconnues – comme le Professeur Raoult – pussent tempĂ©rer les ardeurs sanitaires, montrer l’existence d’élĂ©ments rassurants, et de relativiser certaines prĂ©dictions affolantes eut Ă©gard Ă  l’histoire. Notons toutefois que, sans l’appui d’une opiniĂątre armĂ©e civique, notre lanceur d’alerte ne serait qu’une goutte d’eau dans l’ocĂ©an. Alors qu’on dĂ©sespĂ©rait, les liens de voisinage et de quartier marquent leur grand retour. Saluons ces confinĂ©s vigilants haranguant depuis leur balcon cette mĂšre de famille qui est dĂ©jĂ  sortie durant la matinĂ©e, ces clients prĂ©voyants sermonnant ce jeune homme dĂ©sinvolte qui ne sort que pour acheter une misĂ©rable baguette de pain, sans oublier ces citoyens prĂ©venants n’hĂ©sitant plus Ă  relayer sur les rĂ©seaux sociaux ces photos de familles se promenant – seules pourtant – le visage dĂ©couvert, l’air encore trop guilleret. DĂ©bordĂ©e, la pauvre mairie du XXe arrondissement de Paris, se voit contrainte Ă  appeler au discernement ces innombrables dĂ©lateurs. S’engouffrant dans la brĂšche, une clĂ©ricature scientifique prend le pouvoir et impose un niveau jamais connu de contrĂŽle social. D’un air suffisant et solennel, les gardiens dĂ©signĂ©s de la vĂ©ritĂ© dĂ©crĂštent, Ă  un public retenant son souffle et suspendu Ă  leurs lĂšvres, les mesures irrĂ©futables qui amortiront la chute et rĂ©tabliront l’harmonie. Quand confiner ? À quelle frĂ©quence ? Combien d’annĂ©es ? On apposera la marque – sera-t-elle effaçable ? – sur des citoyens reconnus positif qui seront dĂšs lors tracĂ©s, surveillĂ©s, encerclĂ©s. Qui peut rester avec qui ? Qui incarcĂ©rer en isolement ? Qui peut voir qui ? Et oĂč ? Et pourquoi ? Et comment ? Et Ă  quelle distance ? L’ñge sanitaire est arrivĂ© Le terrain est dĂ©sormais dĂ©frichĂ© pour qu’une tyrannie sanitaire s’implante. Lorsque la santĂ© publique est en jeu et que les personnes les plus vulnĂ©rables sont exposĂ©es, un collĂšgue un peu ronchon sera fĂ©rocement admonestĂ© par son Ă©quipe s’il souligne qu’un dĂ©cret pondu en quelques jours aura suffi pour Ă©brĂ©cher un code du travail. Dans la mĂȘme veine, une personne critiquant son entreprise qui, aprĂšs avoir mis ses salariĂ©s au chĂŽmage partiel, leur demanderait de continuer Ă  produire en tĂ©lĂ©travail, sera impitoyablement taxĂ©e d’égoĂŻste par son entourage. BardĂ©e de courage et dĂ©sintĂ©ressĂ©e, dĂ©pourvue de la peur d’ĂȘtre frappĂ© par la mort, cette componction sera sans aucun doute renouvelĂ©e pour un Ă©vĂ©nement – une canicule pendant les congĂ©s estivaux, par exemple – dont le taux de mortalitĂ© est de 0% pour la jeunesse sĂ©millante. Les applaudissements persisteront pour des tragĂ©dies moins spectaculaires – sans grande messe mĂ©diatique avec dĂ©compte quotidien de victimes – et aux consĂ©quences rĂ©ellement dramatiques – hĂŽpitaux saturĂ©s, personnel soignant dĂ©bordĂ©. Dans un proche avenir, le confinement pourrait rĂ©vĂ©ler au grand jour des dĂ©gĂąts imprĂ©vus foyers esseulĂ©s, privĂ©s de leur gagne-pain, affaiblis, angoissĂ©s et encore plus vulnĂ©rable aux infections, voire affamĂ©s. L’heure de remettre le nez dehors approche pour nos hĂ©ros du confinement. Au nom de la fraternitĂ© avec les victimes du confinement, il faudra bien se sacrifier et retourner au travail. Dans un futur plus lointain, la distanciation sociale pourrait se pĂ©renniser et sonner ainsi le glas pour la sĂ©culaire sensualitĂ© latine. Certaines coutumes comme la bise Ă  la collĂšgue et les poignĂ©es de main au chantier pourraient ĂȘtre relĂ©guĂ©es aux oubliettes. Quant Ă  partager une assiette de charcuterie entre amis ou Ă  trinquer aprĂšs une journĂ©e harassante n’y pensons plus. Mais tout ça pour quoi ? En demandant aux sportifs parisiens de respecter des horaires spĂ©cifiques pour s’aĂ©rer et entretenir leur santĂ© sans pour autant nuire au confinement, Anne Hidalgo met le doigt sur le nƓud gordien du problĂšme il s’agit de respecter le confinement avant sa santĂ© et son Ă©quilibre propre. Revenons Ă  notre scrutateur politique ne pourrait-il pas observer que le confinement finisse par nuire Ă  la santĂ© globale ? Dans un proche avenir, le confinement pourrait rĂ©vĂ©ler au grand jour des dĂ©gĂąts imprĂ©vus foyers esseulĂ©s, privĂ©s de leur gagne-pain, affaiblis, angoissĂ©s et encore plus vulnĂ©rable aux infections, voire affamĂ©s. » Devant des citoyens apeurĂ©s et prĂȘt Ă  collaborer, l’État n’aura plus qu’à cueillir les fruits serviles de la mobilisation citoyenne contre le Covid-19 » pour instaurer sa dĂ©mocratie sanitaire. Tout est prĂȘt pour ne plus bouger de chez soi s’il le faut tĂ©lĂ©travail, Ă©missions prĂ©sentĂ©es depuis le domicile, sport connectĂ©, apĂ©ros virtuels. On ne plonge pas tout de suite une grenouille dans l’eau bouillante. À condition de garder le sourire, tout se passera bien dans l’entreprise connectĂ©e. Se promener sera un jeu d’enfant il suffira, les yeux rivĂ©s sur le tĂ©lĂ©phone intelligent, de respecter au millimĂštre le pĂ©rimĂštre autorisĂ©. L’état sanitaire, le maternage autoritaire, dessinent peut-ĂȘtre les lendemains d’une sociĂ©tĂ© toujours plus propre ». Se mobiliser dans un monde vide est un luxe l’essentiel est d’y croire. en collaboration avec TaĂŻ-Thot Desserts Attention au relĂąchement l’infantilisation de masse comme stratĂ©gie politique » sur la revue Frustration Sur Le Comptoir Coronavirus la maladie du monde malade » Mais aussi Coronavirus Le monde d’aprĂšs ne sera pas dĂ©croissant » Et Ă©galement Rions avec les conseils confinement » du gouvernement »
CĂ©tait la tĂȘte de Langlois qui prenait, enfin, les dimensions de l'univers.Qui a dit : «Un roi sans divertissement est un homme plein de misĂšres» ? Jean Giono, nĂ© en 1895 et
Introduction Les grandes expositions attirent un public nombreux qui n’hĂ©site pas Ă  patienter parfois pendant des heures avant de pouvoir entrer. Dans l’imaginaire collectif l’art reste attachĂ© Ă  la figure du gĂ©nie, de l’inventeur solitaire qui rĂ©alise des dĂ©couvertes essentielles. Il est donc Ă©tonnant d’envisager que l’art ne puisse ĂȘtre qu’un divertissement. Ce terme a ici une signification dĂ©prĂ©ciative. On ne s’étonnera pas qu’il soit employĂ© pour qualifier des activitĂ©s ludiques ou sans prĂ©tention mais comment peut-on l’appliquer Ă  l’art ? Celui-ci n’est-il pas l’expression des valeurs les plus hautes d’une civilisation ? Le soin mis Ă  entretenir les Ɠuvres incite Ă  le penser. Serait-ce dĂ» Ă  une illusion ? 1. Le plaisir du divertissement A. L’agrĂ©ment Nous parlons couramment d’artistes de variĂ©tĂ©s dont le mĂ©tier est de distraire un public souvent contrariĂ© par les difficultĂ©s du quotidien. Le plaisir est l’effet produit par la qualitĂ© d’un divertissement proposĂ© dans le but d’échapper momentanĂ©ment Ă  une rĂ©alitĂ© dĂ©sagrĂ©able ou morose. Il est indĂ©niable que cette signification concerne la pratique artistique. Il semble mĂȘme que des gĂ©nies rencontrent sur ce point le jugement du grand nombre. Matisse a dĂ©clarĂ© que ses tableaux devaient dĂ©lasser l’esprit surmenĂ© de l’homme moderne. Ceci paraĂźt corroborer l’avis de l’opinion commune quand elle soutient que le but d’un film ou d’un spectacle est de lui faire oublier sa vie de tous les jours. Ce phĂ©nomĂšne n’est d’ailleurs pas forcĂ©ment surĂ©valuĂ© par ceux qui le dĂ©fendent. Le spectateur sait fort bien qu’il n’assiste pas Ă  un chef-d’Ɠuvre mais rĂ©clame un droit Ă  se faire plaisir et apprĂ©cie les chanteurs ou les cinĂ©astes qui lui procurent cette satisfaction. Kant, dans sa division des Beaux-arts, donne une place aux arts d’agrĂ©ment qui embellissent le quotidien en le rendant plus agrĂ©able Ă  l’Ɠil. La dĂ©coration de jardins ou d’intĂ©rieur, les divers ornements comme ceux liĂ©s au vĂȘtement constituent des avantages qu’il ne faut pas mĂ©priser car ils participent Ă  la civilisation et aux mƓurs. Le plaisir est donc intrinsĂšquement liĂ© Ă  l’art et on comprend qu’il soit recherchĂ© par un public fatiguĂ© par les contraintes du travail et la routine journaliĂšre. B. L’ambivalence de la sĂ©duction L’artiste Ă©tant un ĂȘtre douĂ© du pouvoir de plaire par ses Ɠuvres, il devrait donc mettre son talent au service des attentes de ses contemporains et chercher Ă  nous divertir. Chateaubriand ne fut-il pas surnommĂ© l’Enchanteur ? Or, cette affection doit ĂȘtre analysĂ©e. L’enchantement reste un critĂšre encore formel. Il ne dit rien quant Ă  la valeur rĂ©elle de ce qui est montrĂ©. Faire plaisir risque de n’ĂȘtre que l’argument d’un esprit complaisant Ă  l’égard des dĂ©sirs vulgaires. Le dĂ©magogue sait flatter pour imposer sa prĂ©sence et ses idĂ©es. L’artiste ne serait alors qu’un homme habile, capable de rĂ©pondre Ă  une attente en appliquant des recettes qui pourraient avoir Ă©tĂ© testĂ©es sur des Ă©chantillons de population. Ce danger menace mĂȘme ceux qui commencĂšrent par inventer. Picasso dit en ce sens qu’imiter les autres est nĂ©cessaire mais que s’imiter soi-mĂȘme est mesquin. » Un artiste novateur peut ĂȘtre victime de son succĂšs en se bornant Ă  rĂ©pĂ©ter des procĂ©dĂ©s. [Transition] L’idĂ©e de divertissement possĂšde un sens qui nous amĂšne Ă  approfondir notre rĂ©flexion. 2. Deux visions de l’Ɠuvre A. L’art comme faux-semblant Dans les PensĂ©es, Pascal donne au divertissement une signification tragique en y voyant la façon dont l’homme se dĂ©tourne de la rĂ©alitĂ© de sa condition. Se divertir serait une fuite motivĂ©e par la misĂšre de notre situation. L’homme se sait mortel et cette considĂ©ration lui pĂšse. DĂšs lors, tout devient dĂ©sirable pourvu que l’excitation d’une activitĂ© lui fasse oublier sa finitude. Ainsi, c’est l’ensemble des activitĂ©s humaines qui devient un divertissement. Non seulement les diffĂ©rents jeux, mais la politique, et toutes les charges qui nous donnent un statut social. La royautĂ© elle-mĂȘme n’aurait de valeur qu’à cette condition car un roi sans divertissement est un homme plein de misĂšres ». L’art rentre-t-il dans cette catĂ©gorie ? Pascal l’affirme tout en s’étonnant du pouvoir des reprĂ©sentations artistiques quelle vanitĂ© que la peinture qui s’attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux ! » L’art nous dĂ©tourne de mĂ©diter sur notre condition en nous charmant par ses couleurs et ses formes. Ce divertissement, bien que comprĂ©hensible, est prĂ©sentĂ© comme coupable car il nous empĂȘche d’admettre que seule la foi en Dieu nous sauverait. C’est en vain que nous nous divertissons aux spectacles de l’art. Ce plaisir passager nous contraint Ă  le rĂ©pĂ©ter sans jamais nous dĂ©livrer de notre angoisse. Cependant, ce jugement rend-il justice Ă  la nature de l’Ɠuvre d’art ? B. La nature singuliĂšre de l’Ɠuvre d’art Les Ɠuvres d’art sont des rĂ©alitĂ©s particuliĂšres au sens oĂč elles possĂšdent une double nature. Nous les apprĂ©hendons par notre sensibilitĂ© et elles nous procurent une satisfaction spirituelle. La vue et l’ouĂŻe sont les principaux sens Ă  ĂȘtre sollicitĂ©s. Or, lorsque nous contemplons un spectacle ou Ă©coutons une musique, nous voyons apparaĂźtre des significations comme la joie, la colĂšre, la fiertĂ©, etc. La force de l’Ɠuvre vient de la façon dont elle unit ces deux dimensions de maniĂšre indissoluble. La signification fait corps avec sa manifestation sensible. Si, par son origine grecque, le mot esthĂ©tique renvoie Ă  l’idĂ©e de sensation, l’Ɠuvre n’est pas consommable comme un produit nĂ©cessaire Ă  nos besoins physiques, elle rĂ©vĂšle l’essence d’un sentiment ou d’une valeur. Elle est donc liĂ©e Ă  une forme de vĂ©ritĂ©. [Transition] Ceci nous engage Ă  réévaluer notre approche de l’Ɠuvre d’art. 3. Réévaluation de l’art A. Art et dĂ©voilement Les rĂ©flexions d’AndrĂ© Malraux sont centrĂ©es autour du concept de mĂ©tamorphose dans lequel il voit la vĂ©ritĂ© de l’Ɠuvre d’art. Il s’étonne de la rĂ©sistance que certaines rĂ©alisations opposent au passage du temps. Nous savons bien que les civilisations sont mortelles. Partout abondent les traces de ce qui fut et ne reviendra plus. Ceci ne signifie pas que le passĂ© n’a plus de sens pour nous. La science historienne se charge d’ordonner ces tĂ©moignages selon la chronologie. Nous pouvons connaĂźtre des faits, les classer de maniĂšre intelligible mais la connaissance ne les ressuscite pas. L’époque Ă©tudiĂ©e est bel et bien rĂ©volue. C’est pourquoi, Malraux estime qu’une Ɠuvre d’art est ce qui conserve une prĂ©sence par-delĂ  le passage des siĂšcles. Elle ne sollicite pas seulement notre intelligence mais possĂšde une vie Ă©nigmatique. Mona Lisa est morte mais La Joconde continue de fasciner. Puisqu’un chef-d’Ɠuvre est ce Ă  quoi on ne peut s’empĂȘcher de revenir, il est plausible de parler de mĂ©tamorphose pour caractĂ©riser la raison de sa vie intemporelle. Les cathĂ©drales gothiques, par exemple, ne furent guĂšre prisĂ©es aux xviie et xviiie siĂšcles avant d’ĂȘtre redĂ©couvertes par le siĂšcle suivant, en les interprĂ©tant Ă  sa maniĂšre, qui n’est plus la nĂŽtre. L’Ɠuvre peut susciter un nombre illimitĂ© d’interprĂ©tations et ĂȘtre une source d’inspiration, mĂȘme si elle traverse des pĂ©riodes d’oubli. Son pouvoir est fragile mais invincible. B. L’élargissement de la perception. Le goĂ»t Bergson affirme ainsi que l’artiste est un rĂ©vĂ©lateur » qui fixe sur sa toile ou dans des mots des visions fugitives, des nuances de sentiments qui traversent notre esprit mais rapidement recouvertes par les exigences de la vie quotidienne. Il souligne ainsi un paradoxe c’est parce que l’artiste songe moins Ă  utiliser sa perception qu’il perçoit un plus grand nombre de choses. » Il naĂźt dĂ©tachĂ© », c’est-Ă -dire plus enclin Ă  contempler qu’à utiliser. Cette thĂšse est importante car elle donne Ă  l’art une nĂ©cessitĂ© profonde. Il est liĂ© Ă  la connaissance de soi, de notre vie intĂ©rieure et de notre rapport au monde. Les Ɠuvres d’art nous permettent de mieux saisir ce que nous ressentons confusĂ©ment et c’est pour cela qu’elles nous touchent. Le dĂ©tachement n’est pas une façon de fuir la rĂ©alitĂ© mais un recul pour la faire apparaĂźtre. Le plaisir pris Ă  l’Ɠuvre est celui d’un goĂ»t que nous apprenons Ă  affiner. Montesquieu note ainsi qu’une jeune personne qui se rend au théùtre manquera d’abord de goĂ»t car elle n’aura pas une perception suffisante de ce qu’elle voit. Il lui faudra du temps et de l’expĂ©rience pour apprĂ©cier la composition qui structure le dĂ©veloppement de l’intrigue. Nous pouvons sans difficultĂ© appliquer cette idĂ©e Ă  toute forme de spectacle. Ceci est dĂ» au fait que l’Ɠuvre est une reprĂ©sentation qui suit nĂ©cessairement certaines rĂšgles mĂȘme si le talent de l’artiste consiste Ă  les moduler pour crĂ©er Ă  chaque fois une rĂ©alitĂ© unique. [Transition] Il ressort de ceci que le goĂ»t est une capacitĂ© qui se cultive. Il s’acquiert et se perfectionne par la frĂ©quentation des Ɠuvres. Conclusion Ce sujet nous a amenĂ©s Ă  considĂ©rer l’art sous deux aspects. Il est vrai que l’art, en nous dĂ©tournant du monde habituel, peut ĂȘtre prĂ©sentĂ© comme un divertissement qui charme pour un moment. Mais cette signification reste superficielle. Une grande Ɠuvre nous livre la vĂ©ritĂ© d’un monde, elle dĂ©voile son essence et n’a donc rien d’une activitĂ© futile ou secondaire. L’art nous divertit au sens oĂč il nous dĂ©tourne de nos habitudes perceptives pour nous rendre plus sensible. Il cultive simultanĂ©ment notre sensibilitĂ© et notre jugement. Quia dit : «Un roi sans divertissement est un homme plein de misĂšres» ? Cela fera 50 ans cette annĂ©e que Jean Giono est mort. En hommage Ă  l’écrivain et Ă  son CSaJ.
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